Daniel C.

Au fond

Artières, Philippe

Seuil

Conseillé par (Libraire)
24 mai 2020

Philippe Artières se définit comme un historien de l'en deçà, des écrits ordinaires, jusqu'aux bas-fonds. Nous l'avions découvert avec Le Livre des vies coupables paru chez Albin Michel en 2000. Autobiographies d'assassins écrites par des condamnés à la fin du XIXème siècle à la demande du professeur de médecine légale Lacassagne à des fins d'expérimentations en criminologie. Déjà, chez l'historien, cette volonté d'être seulement un passeur, de poser le moins d'écrans entre leurs écrits et le lecteur : petit avant-propos, présentation courte, peu de notes.

On retrouve cette même ambition dans Au fond. Composé comme un collage, un accrochage, dit l'auteur, de textes et de documents divers où l'historien intervient peu : archives personnelles, photographies, articles de journaux, correspondances privées et officielles, enquêtes administratives, plaque commémorative , etc. Matières éparses des années 1960 où le lecteur identifie trois récits : l'un intime celui de la mort du frère de l'auteur à l'âge de 3 ans à travers les témoignages de la mère, un autre de la grève des houillères de Lorraine en 1963 qui annonce la fin de l'exploitation des mines alors même que les mineurs gagnent, le troisième celui de la forêt gérée par l'un de ces ancêtres, un juriste du nom de Gény, de sa transformation de feuillus en conifères, de son exploitation pour fournir le bois afin d'étayer les galeries.

De ces Gény, Philippe Artières a tiré un autre sujet d'enquête, son arrière-grand-oncle, théologien assassiné à Rome en 1925. Il en a fait un livre de la même facture Vie et mort de Paul Gény, et une sorte de performance dont rend compte Reconstitution, où on le voie en soutane, photographié dans les rues de Rome, revivre la passion et l'assassinat de l'ecclésiastique. Une manière peu conventionnelle de faire l'histoire, une histoire tremblée, ouverte ; manière qu'il poursuit ici avec l'ambition de faire de chaque lecteur un historien.

Conseillé par (Libraire)
24 mai 2020

Scénarisée par Aurélien Ducoudray, scénariste, entre autres, chez Futuropolis, de docu-fictions, Young, Clichés de Bosnie, Mobutu dans l'espace, et mise en images par Mélanie Allag, une illustratrice jeunesse chez Milan ou Bayard, qui signe là sa première BD, L'anniversaire de Kim Jong-Il, n'est pas, vous vous en doutez bien, le compte-rendu jovial d'une méga-teuf. Il y a même fort à parier que vous laisserez quelques larmes en chemin.

C'est l'histoire d'une famille de Corée du Nord qui subit une dictature qui siège suffisamment loin de nous pour qu'on la croit d'un autre âge. Elle subit et vit (au rythme de) la propagande du régime, s'attachant à ne pas se faire remarquer. Jun Sang, le petit garçon, 8 ans au début de l'histoire, est un petit écolier modèle, né le même jour que l'Étoile Brillante du Mont Paektu, le Dirigeant Mondial du XXIe siècle, le Commandant Invaincu à la Volonté de Fer, c'est-à -dire Kim Jong-Il, leur Père Bien-Aimé. Jun Sang vénère Ri Su Bok, le héros de la guerre de Corée, et est prêt a devenir soldat pour combattre les fantoches du sud et chiens américains. Seulement dans ce monde parfait au destin tout tracé, vient se glisser un petit grain de riz, plusieurs même, mais pas assez. La foi de notre petit écolier est ébranlée quand il apprend que ses grands-parents et son père sont coréens du sud. Quand Kim Jong-Il meurt, la famine qui couve éclate et ravage le pays. La fuite devient la suite logique du récit. Vers la Chine... mais la route sera longue et semée de drames.

Les deux auteurs à la plume et au crayon n'éludent rien, ni la violence, ni l'horreur et pourtant grâce à la narration à hauteur d'enfant, grâce au coup de crayon ou bien à l'art de l'estompe de la dessinatrice, il demeure une forme légère, une ironie douce-amère, la lueur propre à l'espoir. C'est touché qu'on quitte l'enfant devenu grand, plus grand que n'importe quel Kim Jong-Il.

Dimitri Bortnikov

Rivages

Conseillé par (Libraire)
24 mai 2020

Face au Styx. Le fabuleux parcours - riche, vivant, et passionné - d’un jeune Russe dans le Paris d’aujourd’hui. Au fil de ses rencontres et de la solitude de ses déambulations se dessine une fresque hallucinée projetée sur le mur de la condition humaine. Maquereaux, marquises, écrivains, chats et chiens, tsars, grand-père combattant de trois guerres, femmes et hommes, enfants, bêtes venus de l’autre côté du Styx, tous entrent dans cette danse, farandole moderne des âmes tragiques et drôlatiques qui tourbillonne de Paris jusqu’au pôle Nord, de Saint-Peterbourg jusqu’à la grande steppe tel un ouragan qui déracinerait les dents du dragon du passé et sèmerait ceux à venir… Un grand roman russe à la Dostoïevski écrit directement en français.

Génie pour les Inrocks, étourdissant pour Télérama, une langue torrentielle et irrésistible pour L'Humanité, recherche du sens dans un monde postmoderne pour La Croix, Un magnifique livre sur l'errance pour L'Express, le livre de cette rentrée pour France Inter.

Conseillé par (Libraire)
24 mai 2020

Découvrant au début du récit que la mort de son jeune frère résonne avec un secret de famille, le narrateur interroge ses proches, puis, devant leur silence, mène sa recherche dans les Archives Nationales. Il découvre alors que son arrière-grand-père a participé à la confiscation des biens juifs durant l'Occupation. Le récit tente d'éclairer des aspects historiques souvent négligés jusqu'à récemment, l'aryanisation économique de la France de Vichy, crime longtemps refoulé par la mémoire collective. Une enquête à la fois familiale et historique bouleversante.

Un texte tout en finesse et particulièrement touchant.

Conseillé par (Libraire)
24 mai 2020

Dans les dernières décennies, plusieurs auteurs de roman se sont essayés à briser le fil d’un récit linéaire. Le procédé le plus connu et sans doute le plus usité, popularisé par le cinéma (…) a sans conteste été le flashback : l’auteur nous donne à lire ou à voir l’évènement, cœur de son récit, puis nous fait remonter en arrière pour en pister le sens à travers ses multiples causes, laissant au lecteur la tâche d’en reconstituer peu à peu la chaîne… D’autres auteurs, moins nombreux, s’y sont essayé différemment, selon la technique cinématographique de la caméra multiple. Le même évènement est alors raconté successivement par ses différents protagonistes, transformant le livre en une sorte de kaléidoscope, procédé fascinant pour le lecteur, qui voit sa compréhension de l’évènement changer de chapitre en chapitre.

Dans ces tentatives de déconstruction historique du fil du récit, Jaume Cabré, romancier plus connu au-delà des Pyrénées par ses romans et un prix d’honneur des Lettres catalanes, va encore plus loin. Ses déambulations dans l’histoire couvrent une dizaine de siècles, de l’Inquisition au nazisme. Avec Confitéor, « il défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral ». Le lecteur comprend peu à peu qu’il s’agit pour Adrià, de raconter sa triste histoire personnelle, celle d’un enfant sans amour, à Sara, celle qui a soudainement disparu un jour et qu’il continue désespérément d’aimer… Quoi de plus chronologique, habituellement, que ce genre de récit. Mais Adrià (ou plutôt Cabré), le fait exploser : un souvenir en appelle un autre, une époque en appelle une autre, un personnage justifie un saut dans l’époque de ses ancêtres, sans que rien ni dans la forme du récit, ni bien sûr dans la typographie, en avertisse le lecteur. Le sommet de ce désordre magistralement organisé culmine dans la superposition (ou l’enchevêtrement, comme on voudra), de deux débats pourtant à plusieurs siècles de distance, l’un entre le grand inquisiteur et son assistant, l’autre entre un officier SS et son médecin…une manière écrasante pour le lecteur, de signifier qu’inquisition ou nazisme, il s’agit du même Mal, de la même recherche de la Pureté Absolue…Et ce n’est pas là le seul « copié-collé » que ce roman prodigieux nous offre…parmi les multiples dépôts en l’homme, de l’inhumain, qui, en regard, se révèlent autant d’appels à la Beauté et au Pardon.
Quelle signification peut-on lire dans cet effort, chez des romanciers contemporains de plus en plus nombreux, de faire éclater une temporalité classique dans leurs récits ? La tentative peut-être, de rapprocher leur mouvement créatif de celui qui jadis inspira l’art roman : à partir du chaos des matières, faire émerger progressivement une forme qui donne sens au passé, ce que Michel Serres célèbre comme la gloire du futur antérieur… ?

François L.