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    3 septembre 2017

    Voilà déjà un an que Boy Staunton est mort dans les eaux du port de Toronto, les mains crispées sur le volant de sa Cadillac, et dans la bouche un caillou de granit rose. Son fils David n'a jamais cru à la thèse du suicide retenue par la police et reste perturbé par ce mystérieux décès. Au cours d'une représentation de Magnus Eisengrim, le célèbre prestidigitateur, il crie haut et fort : ''Qui a tué Boy Staunton ?''.
    Bien sûr, il soupçonne Eisengrim d'être l'assassin de son père, mais son comportement obsessionnel l'inquiète et il décide de s'en débarrasser en se lançant dans un travail d'analyse. Dans un souci de discrétion, le riche avocat se rend à Zurich, à l'Institut Jung et est pris en main par le docteur Johanna von Haller. Avec elle, il entame son analyse, selon les principes jungien, cherchant, en racontant les épisodes les plus marquants de sa vie, les archétypes qui la régissent. A l'approche de Noël, David va mieux, ayant même réussi à contrôler son alcoolisme. Il est confronté au choix de continuer sa thérapie en Suisse ou de rentrer au Canada.

    Alors qu'il s'accorde quelques jours de vacances à Saint-Gall pour réfléchir, il tombe par hasard sur Dunstan Ramsay, son ancien professeur et meilleur ami de son père. Le vieil original, accompagné de Liesl Naegel, l'invite au château de Sorgenfrei qui, surprise, appartient à Magnus Eisengrim.

    Personnage secondaire de l'objet du scandale, David Staunton est le narrateur de ce deuxième opus de la trilogie de Deptford. Il n'est plus un enfant mais un homme de 40 ans, avocat renommé à la Cour de Toronto, alcoolique à ses heures perdues, célibataire endurci et traumatisé par la mort mystérieuse du grand homme qu'était son père.
    Le ton n'est plus à la badinerie mais à l'introspection et l'on se perd parfois dans les méandres de l'analyse jungienne. Pourtant, l'ensemble reste plaisant. Certains évènements rapportés dans le premier tome sont ici repris sous l'angle de David et là où Dunstan Ramsay savait discerner les failles et défauts de son ami Boy, son fils vit dans son ombre, le pare de toutes les vertus et s'efforce de ne pas le décevoir. Cependant la tache est rude. Malgré son amour et son admiration, David, inconsciemment, s'efforce de devenir l'opposé de son modèle. Boy est un séducteur, coureur de jupons, David est abstinent. Le père brasse des affaires, fait de l'argent, se mêle de politique, le fils vit chichement et discrètement.
    Parsemé de mythes, de légendes, de rêves, ce Manticore se lit avec plaisir. L'écriture de Robertson Davies est définitivement magnifique, à la fois érudite, drôle et puissante. Les créatures qu'il convoque, comme le manticore -tête humaine, corps léonin et queue fourchue-, les mythes auxquels il se réfère, participent à une sorte de réalisme magique à la mode canadienne. Une trilogie passionnante, à lire absolument.