J'ai tenu une maison d'hôtes 12 ans et j'ai survécu

Véronique Cambier

Librinova

Conseillé par
22 février 2018

L'envers du décor !

Après un début qui décoiffe, où l’on constatera que l’on peut être dans la merde quel que soit le boulot, ces « Petites chroniques » déclinent avec verve et humour les heurs et malheurs de qui tient une maison d’hôtes, pour le cas présent dans les Pyrénées et depuis 12 ans (la durée critique ? se demande l’auteur, qui s’interroge sur l’avenir d’une entreprise dont elle rappelle en quelques chapitres la genèse). Ménage, lessives et repassage sont les incontournables corvées liées au job : on s’en serait doutés mais le livre met les points sur les i et calmera les rêveurs qui auraient une vision romanesque de la chose (genre : « J’ai des chambres libres, si j’ouvrais une maison d’hôtes ? ça sera cool, tous ces contacts humains. »). Il y a aussi la cuisine (pour le petit-déjeuner et éventuellement la table d’hôtes), autre tâche pas non plus facile à gérer.
Et puis, bien sûr, il y a les hôtes ! Eh oui, sans eux, pas de maison d’hôtes, mais si seulement ils pouvaient se décliner à partir d’un modèle unique, courtois et respectueux de ceux qui les hébergent et des lieux qu’ils habitent provisoirement. La collection d’anecdotes rapportées par l’auteur (je vous laisse le plaisir de les découvrir !) vous prouvera que tel n’est pas le cas,, on voit de tout même à la montagne (que je croyais, en toute naïveté, fréquentée par des vacanciers forcément sains et sportifs). A côté de ces spécimens plus ou moins indélicats (pour certains, l’adjectif est un euphémisme et le dernier cas évoqué craint), il y a heureusement les autres, avec lesquels on vit parfois des petits moments d’exception : visiteurs venus de partout, ils invitent au voyage et d’aucuns deviendront des amis.

Enlevées et piquantes, voire caustiques, ces chroniques d’un quotidien plus ou moins ordinaire offrent une bonne vue d’ensemble d’un métier exigeant, où l’on (se) donne beaucoup et où l’on reçoit aussi, en fonction des hôtes.
A la fin du livre, vous saurez tout sur l’envers (et parfois l’enfer) du décor, vous disposerez des éléments nécessaires pour confirmer (ou pas) votre éventuelle envie d’ouvrir une maison d’hôtes … ou pour déterminer si, oui ou non, vous êtes l’hôte idéal !

Les crimes de Mary Bell

Géraldine Barbe, Gitta Sereny

Plein Jour

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22 mai 2015

Intelligent et passionnant

Certes, il y a bien eu une part de curiosité morbide pour guider mes pas vers cet ouvrage, mais cette impulsion initiale s’est, dès la lecture des propos introductifs de l’auteur, dissipée. Car si je me suis d’abord inquiétée en découvrant qu’elle en était à son deuxième livre sur le sujet (paru dans son édition anglaise en 1998, soit 26 ans après le premier), au point de me demander si ce n’était pas là le sujet auquel elle avait consacré sa vie, j’ai cessé de m’interroger sur la qualité de ses motivations en appréhendant le caractère profondément sensible et humain de sa démarche, à mille lieues des projets racoleurs de la presse à scandales.
Gitta Sereny était convaincue qu’il lui fallait, pour mieux s’approcher de la vérité, remonter dans l’enfance de Mary Bell et elle ne concevait pas de prolonger ses investigations sans entrer en contact avec la jeune femme :
« J’ai donc espéré pendant dix-huit ans écrire le livre que je vous présente, dans lequel Mary Bell, une fillette de 11 ans exceptionnellement intelligente, libérée à 23 ans, aujourd’hui âgée de 40 ans, nous parle. », explique-t-elle.
C’est donc en compagnie de la coupable que l’auteur revient sur les crimes et ce qui les a précédés, avant de nous présenter ce que fut la vie de Mary Bell après, durant ses années d’incarcération, et ce qu’elle est maintenant.

Gitta Sereny n’use d’aucun effet de manches (l’essentiel de ce qu’elle va développer est annoncé dans l’introduction) pour tenir son lecteur en haleine, comme le font les spécialistes aux Etats-Unis de récits basés sur des histoires criminelles vraies et ne sombre jamais dans le voyeurisme (« Je ne m’attarderai sur aucun des horribles et inutiles détails de ces crimes », précise-t-elle). Mais cela n’empêche pas son récit d’être prenant de bout en bout, parce que nous aussi nous nous demandons, comme ce fut le cas pour elle, comment de tels faits ont été possibles, comment une petite fille en arrive à tuer, si elle a vraiment conscience de ce qu’elle fait, et comment elle peut ensuite vivre (survivre) avec le poids de ses actes sur son existence et en ayant elle-même, plus tard, un enfant.

A toutes ces questions, le livre répond, fouillant au cœur d’une jeune femme (qui, pour au moins l’un des crimes, restera longtemps dans un quasi déni) dans une cathartique et salutaire démarche, à la lumière d’entretiens parfois éprouvants (les souvenirs qu’a Mary Bell des abus qu’elle a subis enfant finiront par remonter au jour), qui constituent un fil rouge au sein des pages exposant les résultats des recherches menées par l’auteur.
Dans cette enquête, psychologie et sociologie sont largement mises à contribution car côtoyer Mary Bell, c’est aussi côtoyer son milieu d’origine (sa mère en particulier, qui tire profit du battage médiatique autour de l’affaire), puis ceux dans lesquels elle a vécu, occasion pour Gitta Sereny de critiquer le système juridique en vigueur dans son traitement des mineurs ayant commis des crimes. Pour autant, les victimes de Mary Bell ne sont pas oubliées, qu’il s’agisse des deux enfants tués mais aussi de leurs familles, vis-à-vis desquelles elle continue à porter le poids de sa culpabilité.

Un document intelligent et passionnant.

Christian Bourgois

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15 septembre 2014

Etats-Unis, début du 20ème siècle.
Talmadge, un homme d’âge mûr, vit seul au milieu de l’immense verger dont il s’occupe, aux lisières d’une nature demeurée sauvage, sans personne alentour.
Un jour, deux adolescentes font irruption sur ses terres. Elles sont enceintes. Mais aussi en fuite et affamées …


Voilà une histoire qui m’a immédiatement accrochée et, de bout en bout, j’ai eu plaisir à découvrir les paysages où elle se déployait et les chemins tranquilles ou tourmentés qu’elle empruntait. Les pages ont ainsi défilé toutes seules, j’étais plongée dans un grand film en cinémascope, des heures où on ne voit pas le temps passer. Mais la comparaison cinématographique ne rend que partiellement justice à ce roman, car on ne fait pas qu’y voir, tous les sens sont sollicités, on entend le vent dans les herbes et les feuilles, on hume les odeurs des bêtes et des gens et nos doigts s’accrochent au réel.
J’ai cru à ce récit autant qu’aux personnages, brossés avec force et empathie, réticents aux bavardages inutiles mais pleinement vivants. Et j’ai aimé cette manière qu’a l’auteur, au détour d’un paragraphe, d’aborder les choses les plus profondes, celles qui nous font ou nous défont, sans qu’on arrive toujours à les nommer.

Un (premier !) roman magnifiquement réussi !

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15 septembre 2014

Bien des années plus tard, Anna Jacob parcourt ses anciens cahiers, à défaut de poursuivre son œuvre littéraire. L’écrivain qu’elle fut s’appelait Deborah Fox. Le procès que ses proches lui ont intenté, quand elle a exposé aux yeux des autres le quotidien de leur vie de combattants révolutionnaires, a signé son arrêt de mort.
Sans ressources, Anna a fini par retourner vivre auprès de sa sœur, Molly, devenue médecin, avec laquelle elle fit jadis ses premiers pas de militante. C’est à cette époque que toutes deux rencontrèrent Marek Meursault et aussi Boris …


De ce roman qui n’a rien de gai mais dont la vérité frappe, je retiendrai avant tout le brio de l’écriture, à la fois enlevée et réfléchie, et de la construction, ainsi que certaines images ou séquences marquantes (Boris rue Vauquelin et l’épisode des mains, Anna et les chaussures de Molly, entre autres) car emblématiques.
Pour revenir sur le parcours de quelques jeunes gens, militants convaincus au point de rejoindre l’Amérique du sud pour aider à la révolution, devenus maintenant des adultes d’âge mûr, l’auteur croise les fils narratifs, mêle présent et passé sans jamais perdre quiconque (grâce à ses titres de chapitres alertes et n’hésitant pas à situer les moments), alterne les points de vue, en usant toujours d’une écriture vive, directe et souvent piquante, mais aussi apte à décrire précisément les mouvements intimes de chacun. Loin d’occulter sa présence, elle l’intègre au récit au travers d’un "on" ou d’un "nous" qui s’adjoint le lecteur dans l’analyse de son propre exposé, commentant les gestes des personnages en s’approchant d’eux au plus près, au point de les sentir respirer, vibrer, douter, vivre en somme.

Un roman dont le fond sonne profondément juste et dont la forme m’a vivement impressionnée.

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1 juillet 2014

De Zadie Smith, je n’avais lu que « De la beauté », à sa sortie il y a maintenant sept ans, et ce roman où humour et humanité faisaient bon ménage fut un coup de cœur. C’est donc avec enthousiasme que je me suis lancée dans la lecture de « Ceux du Nord-Ouest ».

J’ai tout d’abord été surprise par son écriture, très différente de celle de « De la beauté », avec une volonté manifeste d’expérimentation, en mêlant notamment bribes de réalité extérieure et flux de conscience, pour un résultat qui m’a plu : j’appréciais ce recours à la Littérature pour décrire une réalité sociale actuelle. Elle nous est présentée au travers de trois personnages. Le premier est celui de Leah Hanwell. Son parcours se laisse découvrir mais Felix Cooper, évoqué ensuite, a davantage retenu mon attention.
Il reste qu’arrivée au milieu du roman, et alors même que la forme utilisée continuait à me convenir (cette fois, l’auteur optait pour une narration traitée en une longue suite de séquences numérotées), l’ennui est insidieusement venu s’installer, tandis que l’auteur revenait très longuement (150 pages) sur le troisième personnage principal, celui de Keisha/Natalie, l’amie de Leah.
C’est là que j’ai commencé à me rendre compte que, si j’étais séduite par l’écriture et par certaines remarques ou considérations captées ici ou là, il n’y avait guère qu’au personnage de Felix que j’avais un peu accroché : Leah et Natalie, quel que soit le nombre de lignes et de mots qui leur était consacré, demeuraient à distance, des personnages auxquels je ne croyais pas vraiment, si bien que leurs histoires m’apparaissaient comme manquant singulièrement de densité. Bref, tout ça pour ça …

« Ceux du Nord-Ouest » est un roman dont je crains qu’il ne me reste pas grand-chose, hormis la certitude d’avoir lu une œuvre à l’écriture particulièrement travaillée portant sur une banlieue londonienne dépeinte avec précision et réalisme. Je n’y ai, en tout cas, pas retrouvé la tonalité qui m’avait tant plu dans « De la beauté ».